8 Mars, Hommage aux Résistantes Dauphinoises
Le mardi 8 mars, l’hommage annuel, initié par l’ANACR en partenariat avec la Municipalité Grenobloise a eu lieu devant le Mur du Souvenir, place de la Résistance à Grenoble. Cette année, contrairement à 2021, il a pu se dérouler normalement avec des élu-e-s, des porte-drapeaux, du public et des interventions. Patricia Detroyat, cheffe du service du Protocole/ Mémoire de la ville a ouvert la cérémonie rappelant le rôle de la Résistance et des femmes à Grenoble, ville Compagnon de la Libération.

Intervention de Emmanuel Carroz, Maire-adjointMesdames les Députées Emilie CHALAS, Elodie JACQUIER-LAFORGE
Messieurs les Sénateurs Guillaume GONTARD, Michel SAVIN
Madame la Présidente de l’ANACR Martine PETERS
Madame la DDSP Fabienne LEWANDOWSKI
Monsieur le représentant du Commandant du Groupement de Gendarmerie de l’Isère Commandant Arnaud RICHARD
Monsieur le représentant du Directeur Départemental du SDIS Capitaine Thomas CRÉQUI
Madame la Directrice de l’ONAC Cécile CLÉRY-BARRAUD
Mesdames et Messieurs les présidents et représentants des associations
Mesdames et Messieurs
Le dernier « Compagnon de la Libération », Hubert Germain, nous a quittés en octobre dernier. Nous connaissons tous son nom, lui qui est l’une des 1038 personnes à avoir reçu la Croix de la Libération, la plus haute reconnaissance attribuée par la France au titre de la Seconde guerre mondiale.
Nous connaissons Hubert Germain, mais connaissons nous aussi Marie Hackin, Berty Albrecht, Laure Dibold, Marcelle Henry, Emilienne Moreau-Evrard, Simone Michel-Levy ? Ces six femmes, ce sont les six Résistantes qui ont été reconnues elles aussi « Compagnon de la Libération ». Six femmes, six seulement sur 1038 personnes.
Cette proportion pourrait laisser penser que les femmes ont joué un rôle mineur dans la Résistance. C’est pourtant loin, très loin de la réalité historique. Pourtant, leur rôle a été en grande partie passé sous silence, au sortir de la guerre et longtemps après. Dans les hommages publics, dans les manuels scolaires, dans les représentations collectives… la moitié de l’humanité semble avoir été oubliée.
Si aujourd’hui cette faible proposition de femmes « Compagnon de la Libération » nous surprend, et même nous heurte, elle semblait soulever peu de questions dans l’immédiat après-guerre.
Faut-il rappeler la réalité de cette époque pour les femmes en France ? Les Françaises ont dû attendre 1944 pour être reconnues citoyennes à part entière et obtenir le droit de vote. On mesure à quel point c’est tardif, quand on se souvient que les femmes votaient déjà en 1893 en Nouvelle-Zélande, en 1906 en Finlande, en 1934 en Turquie…
Bien que privées de droits civiques, les femmes ont joué un rôle clé dans la Résistance en France. Elles ont su dépasser les conventions qui pesaient sur leur genre, en même temps qu’elles ont bravé les périls de la guerre, de l’oppression nazie et du régime de Vichy.
Ici à Grenoble, comme dans les villes, les villages et maquis alentours, des femmes se sont engagées pour que la France soit libre. Elles ont pris les armes et ont participé aux combats. Elles ont été actives dans le Renseignement et la fabrication de faux papiers. Elles ont caché des Juifs et ont organisé des filières de sauvetage.
Ces Résistantes savaient que leur action les exposait au danger. Nombre d’entre elles ont été arrêtées, torturées, déportées vers les camps, assassinées.
Parmi ces Résistantes dauphinoises, je pense à Louise Collomb. Elle tient un café à Grenoble, avenue Alsace-Lorraine, avec son mari. Ce café, c’est le Comptoir Lyonnais. Il devient le point de rencontre des personnes hostiles au régime de Vichy. Louise Collomb accueille de nombreux fugitifs et réfugiés, elle cache des Juifs, des aviateurs alliés, elle participe au sabotage de films de propagande, elle fait circuler la presse clandestine…
Je pense aussi à Marie Reynoard. Professeure de lettres au lycée de jeunes filles Stendhal, elle distribue des tracts, apprend à mener des actions de sabotage, multiplie les opérations clandestines pour structurer la Résistance, prend la direction départementale du mouvement Combat… Après sa deuxième arrestation, elle est déportée à Ravensbrück en janvier 1944. C’est dans ce camp qu’elle meurt, un an après. Au-delà de son rôle clé dans la Résistance, Marie Reynorad a marqué par son caractère hors du commun, exerçant ses talents de conteuse jusqu’au camp de concentration, et poursuivant la Résistance depuis l’intérieur même du camp. Je pense à elles, et je pense à toutes leurs sœurs de Résistance. A chacune de ces femmes qui a refusé la défaite, combattu pour la liberté. Elles sont l’honneur et la fierté de la France. Je m’incline aujourd’hui devant leur courage immense.
Avec le Maire de Grenoble, Eric Piolle, nous avons à cœur de faire connaître et reconnaître l’engagement exceptionnel de ces femmes Résistantes. C’est pour cela qu’en novembre dernier, nous avons accueilli Vladimir Trouplin pour une conférence sur les six femmes « Compagnon de la Libération ». Et nous poursuivons notre mobilisation pour que les héroïnes de la Résistance, venues du Dauphiné ou de plus loin, quittent enfin l’ombre pour rejoindre la lumière. De nouvelles rues de Grenoble portent désormais leur nom, comme des équipements publics, des écoles. C’est le cas de la nouvelle école Marianne Cohn que nous avons inaugurée en septembre dernier, en hommage à cette toute jeune Résistante née en Allemagne, qui a pris tous les risques pour sauver des enfants Juifs, et qui a été torturée et assassinée par la Gestapo à Annemasse. Ces femmes sont pour nous toutes et tous un modèle de force et de courage. Une source puissante d’inspiration.
En ce 8 mars, Journée internationale des Droits des Femmes, mes pensées vont à toutes les femmes qui ont résisté et qui résistent aujourd’hui, qui se battent pour la liberté et l’égalité, ici et partout dans le monde. Mes pensées vont aux femmes Ukrainiennes. Au cœur du chaos et de la guerre, elles sont nombreuses à prendre le chemin de la Résistance avec un courage immense, pour que vivent la démocratie et la liberté. Je pense aux femmes Russes qui tentent de faire entendre une autre voix [avec un x] et une autre voie [avec un e], face à l’autoritarisme implacable et guerrier de Vladimir Poutine. Je pense à Anna Politkovskaïa, journaliste et militante des droits humains assassinée en 2006. Elle était célèbre pour avoir couvert le conflit tchétchène, pour avoir mené des investigations sur le pouvoir en place et pour son opposition au président Vladimir Poutine. Nous sommes fiers d’avoir donné son nom à la grande salle de notre Maison des Associations, pour que l’on n’oublie ni son combat, ni son courage. Aujourd’hui, les journalistes en Russie risquent 15 ans de prison en exerçant leur métier. Je pense enfin à Elena Osipova, une des dernières survivantes du siège de Leningrad. Encerclés par les troupes nazies, les civils et l’armée soviétique sont restés retranchés dans la ville pendant 872 jours entre septembre 1941 et janvier 1944. Elena Osipova, 76 ans, opposante à la guerre en Ukraine, vient d’être arrêtée en Russie par le régime de Poutine.
Je pense à toutes les femmes Résistantes, en Syrie, en Afghanistan et ailleurs, qui luttent avec force pour vivre debout, et pour que le monde soit plus juste.Merci à vous, héroïnes de la Résistance d’hier et d’aujourd’hui. Merci pour votre combat pour que vivent la liberté, l’égalité, la fraternité et la sororité. Je vous remercie.
Intervention de Martine Peters Présidente départementale de l’ANACR
Mesdames, Messieurs, Chers Ami(e)s, Chers Camarades, après la cérémonie plus qu’intimiste imposée par la pandémie en 2021, c’est une satisfaction de nous retrouver dans ce lieu consacré à la mémoire de la Résistance.
Le 11 novembre 2021, Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération a été inhumé au Mont Valérien, dans la crypte symbolisant la France au combat de 1939 à 1945. Il a rejoint 16 autres combattants : 11 militaires (dont deux tirailleurs d’Afrique du Nord, deux tirailleurs d’Afrique noire et trois membres des Forces françaises libres), 3 résistants (dont un FFI du Vercors et un de la résistance indochinoise) et 2 résistantes, seulement 2 résistantes ! Berty Albrecht, membre fondateur du mouvement « Combat », suicidée à la prison de Fresnes en mai 1943, Compagnon de la Libération et Renée Lévy, membre du réseau du Musée de l’Homme, puis du réseau Hector, Déportée NN (nuit et brouillard) en Allemagne. Décapitée le 31 août 1943 à la prison de Cologne, Allemagne.
L’ordre de la Libération créé par le Général de Gaulle en 1940 compte 1038 personnes, cinq communes françaises dont Grenoble et dix-huit unités combattantes. Le général de Gaulle n’a pas seulement fait la part belle aux militaires pour rejoindre cette chevalerie du 20e siècle, il en a écarté soigneusement les femmes. Parmi ces 1038 Compagnons de la Libération seulement 6 femmes ! Berty Albrecht, Laure Diebold, Marie Hackin, Marcelle Henry, Simone Michel-Lévy, Emilienne Moreau-Evrard.
Le 30 novembre 2021 Joséphine Baker entrait solennellement au Panthéon. La Nation rendait hommage à une personnalité exceptionnelle, artiste noire de music-hall mondialement connue, au service de la France libre espionne et Résistante, militante contre le racisme et pour les droits humains. Dans ce temple à la gloire des grands hommes, 75 hommes et seulement 6 femmes ! Simone Veil, Marie Curie, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Sophie Berthelot et Joséphine Baker.
Au total, 11 Résistantes seulement, dont 7 déportées dans les sinistres camps nazis, sont honorées officiellement par la Nation ! De quoi au regard de ces chiffres s’énerver, en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes ! Alors que les femmes représentent la moitié de la population mondiale ! Et si elles ne furent pas la moitié des combattants de la seconde Guerre mondiale, très nombreuses sont celles qui ont fait preuve, comme les hommes, de courage, d’engagement, d’abnégation, subissant, répression, prison, torture, déportation, mort.
Dans chaque département français, des femmes de divers âges, conditions sociales, familiales, origines, religions, engagements politiques, se sont levées pour refuser l’asservissement imposé par l’occupant allemand, rejeter la honte infligée par Pétain et son gouvernement valets des nazis. Et l’Isère n’a pas été en reste, elle a donné ses meilleures filles pour la lutte acharnée des peuples à disposer d’eux-mêmes, pour rétablir la France dans son honneur, sa grandeur, fière de ses valeurs nées dans la révolution de 1789 qui ont fait de notre pays celui des droits de l’homme. Le combat résistant des femmes, du plus modeste au plus glorieux, et hélas la déportation que nombre d’entre elles subir, nous font obligation de transmettre leur mémoire. Cette inscription gravée dans la pierre en fait foi. Elles ont été nombreuses, fidèles à l’idéal de la Résistance à faire le sacrifice de leur vie. Impossible de les citer, il y en a tant. Laissez-moi juste avoir une pensée affectueuse pour la Présidente de l’ANACR Denise Meunier qui, bien que Résistante en Normandie, mérite de figurer dans cet hommage. Elle a 104 ans et demeure une résistante, toujours. Pourtant l’histoire, sur bien des sujets, s’écrit encore trop souvent au masculin et particulièrement celle de la Résistance. Les femmes sont reléguées bien souvent dans l’ombre de l’histoire, de notre mémoire. D’ailleurs où sont leurs noms dans cet espace mémoriel ? Il est plus que temps de leur rendre leur juste place, beaucoup de beaux noms de Résistantes, connues ou pas, pour éclairer les rues, lieux, musées de nos villes, à Grenoble qui a déjà nommé plusieurs, et dans toute l’Isère.
Les femmes engagées dans le combat libérateur ont mené de terribles luttes pour la liberté, l’égalité, le respect de leur dignité, participant à la création d’une société nouvelle voulue par les combattants, combattantes de l’ombre, par les hommes du CNR. Qui pourrait aujourd’hui nier le rôle capital des femmes dans ces luttes qui ont alors rétabli la République et la souveraineté du peuple ? Pour chaque un, chaque une, résister était un libre choix engageant sa dignité, sa conscience, sa vie. Le choix de se battre était d'autant plus méritoire que longtemps les rebelles furent rares. Victimes, comme les hommes, des lois pétainistes et de l’occupant allemand, les femmes firent, comme leurs compagnons de combat, leur devoir et souvent, plus même que leur devoir. Ainsi à la Libération, elles gagneront des droits nouveaux. Olympe de Gouges écrivait « La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune. » Le 5 octobre 1944, le Gouvernement provisoire de la République française confirmera l'ordonnance signée par le Général de Gaulle suite à l’adoption le 21 avril de l’amendement proposé par Fernand Grenier, Résistant, délégué communiste à l'Assemblée consultative provisoire " Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que l'homme." Les femmes de 1944 seront, longtemps après le combat de Louise Michel et des féministes du 19ème siècle et du début du 20ème, définitivement considérées comme des citoyennes à part entière. Des femmes qui ont ouvert des voies, abattu des murs, forgé une identité commune, créé des solidarités, de l’Antiquité à nos jours, des confins du monde à notre département. Parce qu’elles ont au péril de leur existence choisi de lutter pour leur idéaux, les Résistantes sont notre conscience
La Résistance était porteuse de l’espoir de voir l’avènement d’une société solidaire et égalitaire, d’un monde apaisé loin des idées qui avaient entrainé les peuples dans un épouvantable chaos. Avec le programme du CNR, "les Jours Heureux" le 15 mars 1944, les hommes de la Résistance dessinaient une nouvelle France plus juste, plus fraternelle, plus heureuse. A la libération des camps de concentration, le serment des déportés « plus jamais ça » appelait à taire les haines raciales, culturelles, religieuses. Pourtant aujourd’hui ces haines refont surface. Revoilà les inscriptions ignobles sur les murs, les magasins, les lieux de mémoire fustigeant des communautés, les attaques de personnes, le rejet des différences, les attaques contre les symboles et des élus de la République. Toutes les idées liberticides renaissent, prospèrent, menacent les démocraties. Partout sur notre planète, les droits humains fondamentaux sont mis à mal et la paix est fragilisée dans nombre de régions.
Comment ne pas avoir une pensée pour ce que vit la population ukrainienne soumise à la guerre, aux bombardements, aux morts militaires et civils, à la peur, à l’exode. Ce conflit a pris une dimension dramatique avec les opérations menées par la Russie contre l’Ukraine pays fondateur de l’ONU, la négation de la légitimité de son existence nationale, et les menaces de guerre nucléaire explicitement exprimées à l’encontre des pays qui lui seraient efficacement solidaires. Cette situation menace la sécurité en Europe, la paix dans le monde et, potentiellement en cas de conflit nucléaire, l’avenir de l’humanité. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour que ne reviennent pas ces temps d’obscurantisme et de terreur qui ont fait entre 60 à 80 millions de morts, les états se sont dotés de l’Organisation des Nations Unies. La seule voie, honorable, pour sortir de la guerre, est la recherche, par le dialogue dans le cadre de l’ONU, de solutions respectant les principes fondateurs de sa Charte, auxquels ont adhéré en 1945 les différentes parties aujourd’hui en conflit en Ukraine.
La Démocratie, demeure inscrite dans l’ADN de notre pays qui reste, malgré tous les soubresauts de l’histoire, celui qui en proclamant le 26 août 1789 : les hommes naissent libres et égaux en droits, devint à jamais une lumière pour tous les peuples.Il nous faut rester vigilant car la mémoire est volatile. 78 ans nous séparent de la Libération, le temps de la Résistance s’éloigne toujours un peu plus, les témoins directs nous quittent peu à peu, pourtant leur message demeure tellement moderne. S’indigner, se mobiliser, s’engager, résister, refuser l’inacceptable, lutter contre les persécutions, dont le harcèlement sous toutes ses formes, sont autant des droits que des devoirs. Faire vivre les valeurs humanistes du programme du CNR qui sont celles de notre République reste d’une brulante actualité. En ce 8 mars, pour les femmes, comme pour les hommes, il y a toujours des combats à mener, des bastilles à prendre, des conquis à garder, des droits encore à gagner. Il nous reste, aussi brillant qu’un phare guidant les bateaux perdus dans la tempête, le souvenir indélébile et magnifique des Résistantes, des Résistants qui, dans les brouillards envahissant à nouveau nos pays, nous montre le chemin pour qu’enfin l’humanité toute entière est une chance.
Nelson Mandela disait : Nous pouvons changer le monde et en faire un monde meilleur. Il est entre vos mains d'en faire la différence.