Alfred Rolland Résistant FTPF Saint Egrève
Féfé chez lui photo le Travailleur Alpin
Alfred Rolland - Féfé- est décédé le 21 octobre, victime du coronavirus. Vice- président départemental de l'ANACR Isère, sa disparition va laisser un grand vide. Toute sa vie, il aura porté la parole du résistant qu’il fut et celle de ses camarades aujourd’hui quasiment tous disparus, dont quelques-uns morts en héros. Camarades qu’il vient donc de rejoindre. Regards sur les engagements exemplaires d'un homme entré en Résistance à 16 ans.
Avant la Résistance, déjà impliqué
Alfred Rolland, alias Jean Dupré dans la Résistance est né le 26.09.1927 à Romans, 38. Féfé a été fortement influencé par son père, Joseph Rolland, communiste, surnommé Fend la Bise.
Mon parcours, personnellement, est tout naturel. Ce n’est pas un exploit. C’était une continuité, la continuité de notre vie. Depuis 1934, quand Philippe Henriot est venu à Grenoble. Il venait tenir une conférence, et il voulait défiler dans Grenoble. Les antifascistes se sont levés, et ont empêché qu’il défile. Seulement, il y a eu une charge de police, et mon père, dans cette charge de police, a été gravement blessé, Alpes Grenoble avait même annoncé qu’il était mort… Et, en août 1939, il a été arrêté pour la fameuse affiche "La vérité aux français" qui parlait du pacte Germano-soviétique. Et il a eu un mois de prison, c’est un des premiers communistes qui ont été arrêtés. Quand il est rentré, il a caché des documents, sous le toit, et il a remis des ramettes de papier à une camarade, en me disant : "Tu ne diras où sont les papiers qu’à un camarade qui te le demandera et que tu connais. Si on ne te demande rien, surtout, tu ne dis rien ! ". Et, au grenier, j’avais donc des archives, là-haut ! Dans ses lettres de prisonniers de guerre, il écrivait : "J’espère que tu fais attention à mes outils, là-haut, parce qu’ici je fais le même travail avec des ouvriers allemands". Parce qu’il était dans un réseau de résistance à Hambourg avec des Allemands. Je savais d’où venait la Résistance, mais on ne voulait pas de moi, parce que j’étais un merdeux ! J’étais trop jeune. J’avais seize ans et demi en 1944. Quand il est rentré, mon père n’a pas eu de contact direct avec les FTP, parce qu’il était en quarantaine. C’était la loi des FTP. Il a eu un contact direct avec le Vercors. Eux, tout de suite, sont venus le voir, en disant "Ouh, le Joseph est rentré !". Après, il a quand même pris contact avec des FTP du secteur 2 et cela m’a permis de rentrer en résistance.
Distribution de journaux clandestins
Alfred a été vraiment actif comme agent de liaison dans la Résistance à partir de 1943. Ses premiers actes consistèrent à distribuer des journaux clandestins et transporter des ramettes de papier pour l’impression de tracts. Je travaillais à Grenoble et je ‘‘faisais les boîtes aux lettres’’, c’est-à-dire que j’allais chercher des courriers, souvent c’était des rapports d’opération, à certains endroits comme des boulangeries, et je les amenais à des Résistants, dans les maquis. Il y a des nuits où je partais de Saint-Egrève à pied, je montais à Mont-Saint-Martin, porter des lettres à des Résistants, puis je rejoignais le maquis des Marcellières, au dessus de Proveysieux, en passant par la cabane des Bannettes. Après je redescendais chez moi, à Saint-Egrève et j’arrivais à la fin de la nuit. Je dormais pas ou très peu et j’allais bosser toute la journée. Aujourd’hui, je ne sais pas comment je faisais (2 000 mètres de dénivelé et une quarantaine de kilomètres).
Une des activités principale des Résistants était de diffuser de la contre-information via des journaux clandestins, notamment Le Travailleur Alpin ou Les Allobroges, tous deux communistes : Les journaux ont vraiment été importants car ils ont servi de lien. Les Allobroges ont été lancé en 1942 au Fontanil-Cornillon. Au début c’était tiré à quelques centaines d’exemplaires, à la fin c’est 25 000 exemplaires qui étaient diffusés sous le manteau. La masse de papiers qu’on brassait, c’était impressionnant. Il fallait beaucoup de monde pour distribuer tout ça, donc plein de gens, qui n’ont pas été répertoriés comme Résistants, ont été impliqués. Par exemple, Le Travailleur Alpin était réalisé chez un paysan à St Nazaire les Eymes, imprimé entre le pinard et les patates, puis passait les barrages, camouflé par des légumes ».
Du 3e bataillon FTPF au maquis
Féfé rejoint en mars 1944, le 3e bataillon FTPF-FFI sur le secteur de Proveysieux en Chartreuse. Dans son secteur, entre Grenoble et Voiron, il participe aux opérations menées par le 3e bataillon : sabotages des voies de chemin de fer, de ponts, plastiquages des câbles de téléphone, des pylônes électriques, récupérations de fonds. "Ah ça on avait du culot ", on était gonflé, quand même ! On était plusieurs en opération, et puis on avait un flingue. Bon je m’en suis jamais servi et j’en suis bien content d’ailleurs. Quand aux cibles, elles nous étaient données par le service de renseignement des FTP. C’était un groupe secret, qui faisait un boulot monstre. C’est lui qui nous renseignait sur nos cibles, qui nous disait tout ce qu’il fallait faire, en nous donnant des plans, le matériel, les horaires. Je ne les connaissais pas parce que de toute façon on devait en connaître le moins possible sur les autres Résistants, c’était la règle de sécurité essentielle ».
C’est suite à la récupération de la paye de l’usine des Tissages de la Monta qu’il est arrêté avec son chef par les gendarmes puis libéré par ses camarades. Avec son père Joseph Rolland, Résistant, il gagne le maquis en juin 1944 jusqu’à la libération de St Egrève à laquelle il participera avec ses camarades maquisards.
La vie dans le maquis
Non, on n’était pas heureux. C’était dur, ça nous a marqué. J’ai rêvé très longtemps que j’étais poursuivi, et que je devais sauter dans l’eau au pont de Veurey, alors que je ne savais pas nager. J’ai eu un rêve avec mon fils qui se faisait prendre et je ne pouvais pas intervenir. On avait la trouille sans cesse, on n’avait pas à manger, on avait vraiment faim. Ce qui nous tenait, c’est qu’on avait la hargne de lutter, de combattre… Faut dire aussi qu’on était bien aidé. Des fois il y avait un coup dur, on tapait à une porte, il y avait une photo de Pétain accrochée sur le mur, mais ils nous aidaient quand même et ne nous dénonçaient pas, parce qu’ils étaient patriotes. En fait, ils ne pouvaient pas accepter qu’il y ait une troupe étrangère dans leur pays. Avec certains on s’engueulait mais ils ne nous ont jamais vendus ».
Transmettre la mémoire aux jeunes
Après la libération de l’Isère, il retourne dans la vie civile, travaille comme plombier, se marie, a quatre enfants.
Après la guerre, Féfé a tout fait pour perpétuer cette mémoire de ce qui fut un tournant pour l’histoire de France, à savoir la victoire sur l’Allemagne. A la retraite il va se consacrer à transmettre l’histoire de la Résistance, pendant des décennies, jusqu’il y a encore quelques mois, tant que sa santé le lui a permis, et témoignera dans les lycées, collèges, écoles primaires dans tout le département.
Quand je rencontre des élèves, je leur parle toujours du 27 mai, qui est une date très importante. Parce que, pour moi, la Résistance ce n’est pas que "Pan ! Pan !" ou faire dérailler les trains. Ça a été le Conseil National de la Résistance, créé le 27 mai 1943 - et attention, je considère que le 27 mai 1943 est une date aussi importante que le 14 juillet 1789. Le 27 mai, la création Conseil National de la Résistance a donné une force à de Gaulle, qui a été reconnu par les Alliés. C’est comme ça qu’on est devenu le quatrième grand. C’est d’une importance incroyable, quand on y réfléchit ! On a eu un territoire d’occupation, on a participé à la reddition sans condition de l’Allemagne Nazie, il y a eu un changement brutal, et c’est le 27 mai 1943.
Je leur parle aussi du programme du CNR, qui a été établi de gauche à droite. Il y avait des républicains, des humanistes - donc pourquoi pas des humanistes de droite ? - qui ont établi ce programme, ça a été difficile mais ils l’ont établi. Eh bien, ce programme, il faudrait l’appliquer, et pour l’appliquer, c’est un combat de tous les jours, qui ne s’est pas arrêté, et il faut que d’autres continuent.
Féfé intervenait aussi dans des évènements organisés par le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère. Il participait activement, depuis leur création, aux "chemins de la Mémoire à Grenoble "organisée par la Ligue de l’Enseignement
La Mémoire dans la pierre
Dans la droite ligne de ses engagements de Résistant et de communiste, Féfé va s’impliquer dans la vie citoyenne de sa commune et sera élu adjoint au Maire au Conseil Municipal de St Egrève de 1965 à 1971 puis conseiller municipal de 1983 à 1989. Il sera à l’origine, il y a 35 ans de la Foulée du Souvenir, une course dans St Egrève qui passe par les rues aux noms de Résistants. Il sera également à l’origine de la "Sentinelle de la Mémoire" inaugurée le 11 octobre 1997, monument érigé à St Egrève, route de Proveysieux qui rappelle que des hommes et des femmes du 3ème Bataillon FTPF ont participé très activement à la Résistance, et quelques-uns jusqu’au sacrifice de leur vie.
Il bataillera, principalement avec les autres associations d’anciens combattants pour qu’à Grenoble, lorsque le Mur du Souvenir Place de la Résistance a été érigé, les FTPF et leur importante participation à la Résistance ne soit pas occultée
Le mur du souvenir, ils voulaient en faire un mémorial de la Résistance, j’ai eu une bagarre terrible ! Deux ans, ça a duré. Ils ne voulaient pas mettre les FTP. J’ai dit : si c’est un mémorial de la Résistance, il faut qu’il y ait une plaque des FTP. Mais mes autres camarades ne voulaient pas. Aujourd’hui une plaque honore Pierre Flaureau et ses camarades FTP "En souvenir de Pierre Flaureau (Pel) », FNR-FTPF, Secrétaire du Comité départemental de la Libération nationale (CDLN) "
Féfé est aussi à l’origine de la plaque apposée au Fontanil-Cornillon, sur la maison des fondateurs des Allobroges Paul et Marguerite Montval.
L’ANACR au cœur
Membre de l’ANACR depuis les années 1970, mais actif surtout à partir de sa retraite, il va inlassablement œuvre pour l’ANACR dont il devient Vice-président départemental dans les années 1990, membre du Bureau national de 2000 à 2017 puis accède à sa demande à l’honorariat du Bureau National de l’ANACR au Congrès National de Dax en octobre 2017 Il était Président départemental de l’Amicale des FTPF-FNR de l’Isère, et Président d’honneur de l’UFAC Isère. Conscient de la disparition progressive des Résistant-e-s et des risques touchant l’ANACR, il était très favorable à la création des Amis de la Résistance et il leur faisait entièrement confiance pour faire perdurer la mémoire de la Résistance et faire vivre ses valeurs.
Si on n’avait pas les Amis, on serait dans une situation bien délicate… On souhaite que les Amis de la Résistance transmettent les valeurs de la résistance. Aujourd’hui, la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre, et en particulier ces valeurs humanistes que sont le programme du Conseil National de la Résistance.
Laisser des traces
Transmettre, dans la vérité historique, l’histoire des FTP en Isère, et même au-delà, a été pour Féfé un combat important. Durant de nombreuses années il a réalisé un exceptionnel travail d’archives sur cette période. Quelques années après la guerre, Paul Billat, un des patrons des FTP en Isère, m’a remis des caisses avec toutes les archives de l’état-major des FTP. J’ai mis des années à classer ces lettres, plans et rapports d’opérations, directives de la Résistance, articles de presse, etc. J’ai tout mis en ordre dans 33 gros classeurs, que j’ai remis au Musée national de la Résistance et de la Déportation de Champigny-sur-Marne, qui considère cet apport comme une des plus belles pièces de son fonds.
En puisant dans ces archives exceptionnelles, Alfred Rolland a publié, en 1994, le livre "La mémoire des rues à Saint-Égrève", accompagné d’une exposition. Un magnifique ouvrage réédité en septembre 2019 (avec le précieux concours de son fils Jacques), sous le titre Saint-Égrève, Résistance et mémoires des rues, complètement réactualisé avec des photos, des cartes en couleurs, les résumés des parcours de ces héros dont on lit les noms sur les plaques des rues saint-égrévoises.
Puis cette année, le comité ANACR de St Egrève, toujours grâce aux archives de Féfé a publié St Martin le Vinoux, Résistance et mémoires des rues.
Grace à Féfé et sa volonté inflexible de voir reconnu le rôle éminent des FTPF, un colloque histoire des F.T.P.F. en Isère en Savoie et Haute Alpes s’est tenu au Palais du Parlement le 11 mai 2017 sous l’égide du Conseil Départemental et du MRDI avec les contributions de plusieurs historiens. (voir Résistance Isère juin 2017).
Alfred Rolland a écrit et publié à compte d’auteur un livre : La Résistance aux portes de Grenoble. Le 3ème Bataillon F.T.P.F.- F.F.I. de Chartreuse.
Sa sœur, Andrée Rolland-Garcia, "Mamie Doudou" a fait de même. Fend la Bise au cœur tendre raconte surtout l’histoire de son père Joseph Rolland, mais de nombreuses pages décrivent avec entrain et humour les actes de résistance du jeune Alfred Rolland et de ses camarades.