la journée nationale de la Résistance 27 mai 2014
Journée Nationale de la Résistance
27 mai 2014
Stèle Jean Moulin – Grenoble
Intervention Martine Peters Présidente Déléguée départementale
L’an passé, une belle cérémonie nous réunissait pour le 70e anniversaire du CNR et l’inauguration de cette superbe stèle en hommage à Jean Moulin, voulue par la Municipalité grenobloise. L’ANACR demandait que soit enfin instaurée la Journée Nationale de la Résistance. Dans la nuit du 9 juillet 2013, l’Assemblée Nationale suivait le vote du Sénat le 28 mars, en votant à l’unanimité la création de cette Journée Nationale. Le 19 juillet 2013 le Président de la République promulguait la loi l’instaurant.
Ainsi pour la première fois est célébrée par la Nation, ici à Grenoble, et dans de nombreuses communes de l’Isère et de France, de manière officielle, la Journée Nationale de la Résistance. Pour notre association, totalement engagée depuis 25 ans dans cette bataille, soutenue au fil des années par d’autres associations du Monde Combattant et appuyée par l’UFAC, c’est plus qu’une satisfaction et une victoire, c’est la certitude d’avoir eu raison de ne jamais rien lâcher pour que soit rendu ce juste hommage à la place de la Résistance dans l’histoire contemporaine de notre pays, aux Résistantes et Résistants tombés pour sa liberté. Permettez moi d’ajouter que cette nuit du 9 juillet, en regardant, sur mon ordinateur, les députés prendre cette décision historique, je n’ai pu m’empêcher d’avoir une pensée émue et des larmes pour tous les Résistants et Résistantes qui nous ont quittés, et je songeais bien sur à mon père aussi, j’avais la sensation d’enfin leur combat était reconnu et marqué dans le marbre de notre conscience collective.
Cette journée doit être, ainsi le dit la loi, un moment privilégié du passage de cette mémoire aux jeunes générations et, dans les années à venir, nous devrons tous ensemble, associations et collectivités territoriales, réfléchir à des initiatives pour impliquer les jeunes scolarisés ainsi que la population. Mais, ce matin, nous ne boudons pas notre joie de savoir que sur le demande de Monsieur le Préfet de l’Isère, les communes vont pavoiser pour inscrire aux frontons de nos mairies et de nos édifices l’histoire tourmentée mais glorieuse de ceux qui n’hésitèrent pas dans un monde soumis au chaos à « faire quelque chose » pour sauver notre civilisation.
Il y a 71ans, 17 hommes se réunissaient 48 rue du Four à Paris chez René Corbin, ancien membre du cabinet de Pierre Cot. 16 hommes, représentant huit grands mouvements de résistance, six partis politiques résistants et deux centrales syndicales clandestines, autour de Jean Moulin, initiateur de cette rencontre qu’il préside. En pleine occupation allemande, ces hommes, même s’ils n’en ont pas alors pleinement conscience, vivent un moment déterminant, ils vont changer le cours de la guerre et de l’histoire. Une petite heure seulement mais quand ils se séparent le Conseil National de la Résistance est devenu une réalité.
Mesure-t-on aujourd’hui, où nous nous réunissons si facilement, combien était complexe l’organisation d’une telle réunion dans un Paris quadrillé par l’armée nazie avec le concours des forces de répression du régime collaborateur de Vichy présidé par Pétain, qui traquaient, arrêtés, torturés, exécutés les Résistants.
Et comment ne pas évoquer le long chemin qu’avec ténacité Jean Moulin suivra, durant plus de 2 ans, en rencontrant dans des lieux et des conditions improbables, ceux qui refusent l’asservissement de la France. Jean Moulin était un homme de conviction mais aussi un visionnaire ayant foi en l’avenir de notre pays car, dans la France écrasée, comment miser sur une résistance balbutiante et éparpillée ? Pour arriver à ce 27 mai, il aura jeté dans le combat toutes ses forces, parfois jusqu’à l’épuisement, sans cesse sous la menace d’une arrestation, lui l’homme le plus recherché par la Gestapo. Jean Moulin ne verra pas la libération de la France, il sera arrêté, avec plusieurs de ses camarades, dont Raymond Aubrac, à Caluire le 21 juin 1943, dans la maison du docteur Dugoujon. Malgré les terribles tortures que lui infligent la Gestapo, il ne parlera pas et meurt dans le train qui devait le conduire en Allemagne, son décès étant enregistré le 8 juillet 1943, en gare de Metz.
Evènement de portée considérable, la création du CNR, qui est le couronnement de son œuvre d’unification, va permettre de coordonner, dans le combat commun, toutes les forces de la Résistance jusqu’à là dispersées, ouvrant ainsi la voie à l’unification, au sein des FFI, des différentes structures militaires de la Résistance.
Au bout de plusieurs mois de préparation longue et laborieuse, le 15 mars 1944 à l’unanimité, le CNR vote un programme, porteur des valeurs humanistes de la Résistance, intitulé les jours heureux, comprenant un plan d’action immédiate et les mesures à appliquer dès la libération du territoire. Nombre de ces mesures mises en place à la Libération par le Gouvernement du Général de Gaulle permit une France indépendante, démocratique sur les plans politique, économique, social, avec des avancées qui, malgré des remises en cause accentuées ces dernières années, demeurent le socle de notre société.
Le CNR, en se plaçant lors de sa réunion constitutive, sous l’autorité du chef de la France Libre, le Général de Gaulle, va lui permettre de s’affirmer, face à Giraud, auprès des Anglo-américains, comme le seul représentant de l’ensemble de la France Combattante, en lutte, tant sur le sol national occupé, que sur tous les théâtres d’opération d’Europe, d’Afrique, d’Asie et du Pacifique, où s’illustraient, aux côtés des Alliés, les Français libres et à la France de s’assoir à la table des vainqueurs à Berlin.
Patriotisme, humanisme, idéaux démocratiques et aspiration à un monde juste et en paix furent les valeurs qui motivèrent l’engagement au péril, et souvent au sacrifice, de leur vie des Résistantes et des Résistants dans le combat contre l’occupant nazi et le régime pétainiste complice de ses crimes. Combat convergeant avec celui des Français Libres et prenant sa place dans la lutte des peuples et des forces alliées contre la barbarie génocidaire et liberticide.
Les 8 mai et 2 septembre 1945, les capitulations de l’Allemagne nazie, et du Japon faisaient se lever l’espoir d’un monde en paix débarrassé des idéologies destructrices qui venaient de faire son malheur durant d’effroyables années de souffrance. Hélas, le monde contemporain connaît toujours des évènements meurtriers et dévastateurs pour les populations, la guerre, l’oppression, le racisme, les discriminations et épurations ethniques, les persécutions religieuses, le sous-développement social et culturel de populations entières. Les héritiers des idéologies criminelles vaincues en 1945 retrouvent une audience à la faveur des crises que connaissent nos sociétés et des difficiles conditions de vie que subit de plein fouet, sans espoir rapide d’amélioration, la grande majorité des européens.
Comment ne pas réagir aux résultats des élections de ce dimanche et au score effarant d’un parti de l’extrême droite dont les députés élus viendront, c’est une crainte, s’ajouter à ceux élus dans toute l’Europe, dont certains ouvertement néo nazis. L’ANACR est pluraliste et ne prend jamais position lors des scrutins électoraux, ses membres se situant sur l’ensemble de l’arc républicain. Mais les résultats de cette élection montrent que, dans notre pays, la haine de l’autre, l’exclusion, la xénophobie, le racisme, le rejet des différences, les discours anti immigrés se développent, créant une atmosphère délétère très inquiétante. Le glissement d’une partie importante des électeurs vers ces idées et paroles insupportables, ajouté à une forte démobilisation de nos concitoyens à accomplir leur devoir en se rendant aux urnes, nous interpellent à l’ANACR. D’où l’importance de transmettre les valeurs républicaines restaurées par la Résistance aux jeunes générations pour répondre à leur besoin de connaissance mais, également, de repères et de mémoire afin de leur donner les armes intellectuelles nécessaires pour se forger une conscience et préparer leur avenir.
Nous retrouver ce matin, à Grenoble, ville Compagnon de la Libération n’est pas anodin. Au-delà de l’hommage respectueux que nous devons aux Résistantes et Résistants, ensemble, maintenant et demain, faisons de la Journée Nationale de la Résistance un temps fort d’évocation et de passage de l’histoire de leurs combats, leurs engagements, leurs nobles idéaux.
Nous sommes réunis dans le même souci de préserver la mémoire, de tous ceux qui surent, au plus noir de la nuit de l’occupation et de la barbarie, dépasser leurs différents et s’unir pour rendre à la France sa liberté, sa conscience, son humanité, son honneur.
Il y a 71 ans, Jean Moulin, haute et lumineuse figure et ses Compagnons de combat firent que la flamme de la Résistance ne s’éteigne pas. Ils étaient la France. Soyons dignes d’eux.
Intervention Eric Piolle Maire de Grenoble
Deux jours après un scrutin dont le résultat ébranle les consciences et nous interroge sur notre capacité à résister aux menaces qui assaillent les idéaux démocratiques, je suis heureux d’être ici, devant cette stèle, à vos côtés. Heureux d’être ici pour honorer la mémoire de Jean Moulin et au-delà de lui, la mémoire de toutes celles et de tous ceux qui ont permis de franchir l’étape décisive de mai 1943 – alors que le monde était ravagé par conflit d’une brutalité et d’une complexité inouïes.
Alors oui, bien sûr, cette journée de commémoration est d’abord l'occasion de rappeler les services rendus par les combattants de la Liberté depuis l'Armistice du 22 juin 1940 jusqu'à la Libération en 1944.
Parmi eux, 20 000 résistants des Forces Françaises de l'Intérieur tués au combat, 30 000 autres fusillés et plus de 60 000 autres déportés dans les camps. Le souvenir de leurs engagements comme celui des résistants qui nous quittent au fil des années exige l’hommage spontané des générations épargnées depuis par la guerre et le totalitarisme.
71 ans ont passé.
Pourtant, il apparaît encore comme une évidence que la reconnaissance qui nous lie à des combattants que le temps emporte ne doit pas être dite seulement au passé. Car cette reconnaissance régénère année après année la conscience que nous devons avoir du présent et l’exigence que nous devons avoir pour le futur.
Cette journée de commémoration est essentielle au regard des sacrifices consentis alors, mais aussi parce que le message de la Résistance est universel.
Quand la crise, le chômage de masse, les inégalités grandissantes sapent les valeurs républicaines ; quand la démocratie est battue en brèche par le désintérêt grandissant, par l’usure et la méfiance ; quand ce désintérêt ouvre la porte à des forces qui habillent l’ordre totalitaire d’un costume de respectabilité ; quand les idéologies xénophobes et racistes explosent en Europe, l'exemple de la France libre et combattante a toujours valeur de référence.
Aujourd’hui, notre modèle de développement est en cause, la « modernité » s’épuise, le poids des idéologies anciennes est affaibli, nous sommes tous convaincus de l’urgence à agir dès aujourd’hui pour les générations futures.
Nous sentons plus ou moins confusément qu’il faut repenser les modes de production d’une volonté générale, d’un bien commun qui se défont dans la défiance et l’amertume…
Nous sentons qu’il nous faut « élaborer une pensée pour l’action contre la sidération et la panique » pour reprendre les termes d’un brillant sociologue (Bruno Latour).
Note chance aussi, c’est que l’héritage de Jean Moulin et de ceux qui l’ont rallié en 1943 dans des circonstances qui peuvent être qualifiées d’apocalyptiques va bien au-delà du programme qui a posé les jalons de l'Etat-providence et de l'Etat stratège de l'après-guerre.
C’est la paix bien sûr, une paix dont nous jouissons depuis près de 70 ans le plus souvent dans l’oubli du prix qu’il a fallu payer pour l’imposer.
Mais c’est aussi un monde où – malgré tout - la fidélité aux pillers moraux de l’humanisme, l’exigence de vérité, la capacité à saisir les enjeux et à prendre les décisions qui s'imposent même lorsqu'elles bouleversent les intérêts établis, restent des objectifs forts.
En 1933, Antonio Gramsci portait un jugement saisissant sur ce qu’il constatait autour de lui. Il disait alors : « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres ».
Quels que soient leur forme ou leur nom, nous sommes aujourd’hui comptables de la lutte contre les « monstres » - parce que renoncer serait indigne et suicidaire.
Tout comme l’aurait été d’une certaine façon le renoncement face au nazisme pendant les années noires de la seconde guerre mondiale.
Message de la jeunesse de France
Aujourd'hui, la France est rassemblée pour commémorer la création du Conseil national de la Résistance. Cette date du 27 mai est inscrite pour la première fois au calendrier national commémoratif.
Le 27 mai 1943 se tenait au 48 rue du Four, ici à Paris, la première réunion du Conseil national de la Résistance initiée par Jean Moulin. Les résistances de France deviennent alors la Résistance française. Dans la clandestinité et dans l’ombre d’une guerre terrible, une poignée d'hommes pensaient déjà au lendemain de la Libération et à la reconstruction du pays et de la République.
Aujourd’hui, les Françaises et les Français, et tout particulièrement les jeunes, leur rendent hommage.
Comment ces jeunes femmes et ces jeunes hommes, à peine plus âgés que nous le sommes aujourd’hui, ont-ils pu faire preuve d’un aussi grand courage ? Comment ces anonymes ont-ils pu devenir des héros malgré eux, prêts à sacrifier leur vie et leur jeunesse pour une cause qu’ils estimaient plus encore : la liberté, leur liberté et celle de leur pays ?
Qu’aurions-nous fait à leur place ? Obligée par leur combat et leur sacrifice, la jeunesse de France est invitée en ce jour commémoratif à s’interroger sur le sens de cet engagement.
Nous devons aussi tirer les enseignements du Conseil national de la Résistance : l’unité et le rassemblement par-delà les différences, la confiance en l’avenir même dans les heures les plus sombres.
Nous devons apprendre ce que fut l’histoire de nos grands-parents, de nos arrière-grands-parents pour mieux saisir notre histoire et notre mémoire. Nous devons nous réapproprier des lieux : les Vercors, le Mont-Mouchet, les Glières, le mont Valérien ; nous réapproprier des noms aussi : Jean Moulin, Pierre Brossolette, Berty Albrecht, Missak Manouchian.
Leur combat est plus que jamais d’actualité. C’est en nous montrant dignes de l’héritage qu’ils nous ont offert et pour lequel beaucoup se sont sacrifiés que nous demeurerons libres.
Cette liberté n’a pas de prix. C’est ce que les résistants ont chanté, rassemblés au lendemain du 27 mai 1943. C’est le chant des partisans dont Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon, tous deux combattants des Forces Françaises Libres, ont écrit les paroles.
« Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute… ». Aujourd’hui, c’est nous tous, toutes générations confondues, qui écoutons le chant des partisans, le chant de la Libération.
Alfred Rolland Vice Président départemental et Andrée Lancha membre du Bureau départemental