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A.N.A.C.R. ISERE
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  • blog d'information relayant les activités de la section isèroise de L'Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de la Résistance. 64 rue Ampère - 38000 Grenoble Tél : 04 76 47 04 49 / Fax : 04 76 47 43 21
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28 octobre 2020

"Les Porte" ils avaient 20 ans en 1943

Ce texte a été publié dans Résistance Isère  n° 166 septembre 2011. Aimé Berthollet, Bison, Président  d’honneur de l’Amicale des Anciens Porte et membre de l’ANACR, qui avait, par ses documents, permis cet article, est décédé en août 2014 à 91 ans.(Voir article sur ce blog)

Le 10 juin, l’Amicale des Anciens de la Section Porte du Maquis de l’Oisans a inauguré dans la cour de l’école de Rioupéroux une plaque à la mémoire des 3 jeunes instituteurs,  Charly Vallin 20 ans, Max Robert 20 ans, Georges Duffaud 20 ans, tombés le 13 août 1944 lors des combats du Poursollet. Le 13 aout, la journée du Souvenir au Poursollet s’est déroulée dans plusieurs lieux de mémoire et à 10 h la cérémonie principale a eu lieu sur la plateforme en présence des anciens " Portes ", des personnalités, des familles et des associations d’AC.

Dans le monde combattant grenoblois on entend souvent parler des "Porte".  Mais qui étaient-ils, pourquoi et comment ceux dont l’histoire a retenu la jeunesse et l’appartenance à l’école normale d’instituteurs sont-ils allés combattre en Oisans et pour plusieurs d’entre eux y ont laissé leur vie. Pour mieux connaître ces résistants des premières heures, Résistance Isère a demandé à Aimé Berthollet de raconter les "Porte". Il a gentiment accepté mais comme il est très, trop ?, modeste il a, plutôt que de parler, préféré fournir à la rédaction, des documents appartenant à l’amicale des "Porte". Qu’il en soit vivement remercié.

Récit de l’épopée des descendants des " hussards de la République ". Ils ont, sans hésiter, choisi le chemin escarpé de la Résistance rendant à l’école et à ses instituteurs leur honneur que  le gouvernement de Pétain et la haute hiérarchie de l’Education Nationale avaient bafoué.

 Le clan des "Bruleurs de loups "(B.D.L)

En octobre 1940, 25 élèves-instituteurs âgés de seize à dix-huit ans, font leur rentrée au lycée Champollion après la fermeture par le gouvernement de Pétain des Écoles Normales accusées d'être des "séminaires laïques". Ils sont, comme beaucoup de jeunes, traumatisés par la défaite de l’armée française, par l’armistice demandée par le maréchal Pétain le 17 juin. La plus part d’entre eux sont fils d’anciens combattants de 14-18, issus de milieux ouvriers et d’une sensibilité plutôt  de gauche. Ils n’acceptent pas l’occupation d’une partie du territoire, le gouvernement de Vichy et son orientation vers la collaboration.

Partageant les valeurs du scoutisme, six garçons forment le clan des "Brûleurs de Loups" à l'initiative d'Aimé Berthollet (Eclaireur de France à Bourgoin) dont le totem est "Bison". A ses côtés se trouve, entre autres, André Baroz, alias "Canard". Ce groupe a pour spécialités la montagne et l'art dramatique et cherche "à faire quelque chose contre l'occupant et ses complices français". Durant cette année scolaire, les membres du clan cherchent à entraîner leurs condisciples et ils trouvent une adhésion à leurs idées. Mais il faudra attendre octobre 1941 pour qu’un évènement leur permette d’agir : la visite à Grenoble du commissaire national des Eclaireurs de France, Pierre François, accompagné par un responsable important d’un mouvement de résistance, vraisemblablement Jean Pierre Lévy de "Franc-Tireur". Au cours d’une réunion  qu’il organise, un soir et  à laquelle assiste "Bison, Pierre François engage les éclaireurs  à entrer en Résistance

 Les premières actions

Les premières actions consistent à diffuser des tracts ou des journaux clandestins, à déchirer des affiches de propagande allemande ou vichyssoise, à récupérer du matériel militaire, à fabriquer des faux papiers, et surtout à pratiquer assidument un entraînement physique…et psychique lors de sorties en montagne. A la rentrée d’octobre 42, ils décident de passer la 2ème partie du Bac, de ne pas faire la 4ème année et de partir ensemble au maquis. Mais le dire et le vouloir cela ne signifie pas, en cette année 1943, passer immédiatement à l’acte. Les contacts avec les mouvements de résistance n’aboutissent pas : à ces jeunes qui veulent en découdre on dit : attendez ! Alors ils décident d’organiser leur propre "groupe-franc ". Entre le Guillet et le collet d’Allevard, ils vont investir une grange de montagne prêtée et aménagée par son propriétaire au Champ du Seigle. La montagne, contrairement à beaucoup de jeunes qui plus tard monteront de Grenoble au Maquis, eux ils connaissent et la pratiquent depuis longtemps en sportifs accomplis. Mais pour créer un maquis il faut de l’argent. Utilisant leur autre spécialité, l’art dramatique, ils organisent "un camp volant" de théâtre qui va tourner en Isère à l'été 43. " Nous jouerons au profit des prisonniers de guerre (c'est la condition de l'époque). Nous donnerons la moitié de la recette (ce n'est pas vrai, pardon !)"

 GEORGES DUFFAUDGeorges Duffaud

 La tournée des "comédiens  sans chariot" (ils se déplacent à pied avec un vélo)  remporte un beau succès avec, en particulier, les poèmes d'Aragon et de Kipling qui sont un appel à la Résistance. En juillet 1943, au lieu pour 2 d’entre eux de partir pour le STO et pour 2 autres de rejoindre les chantiers de jeunesse où ils sont convoqués, ils gagnent leur maquis du Champ du Seigle (7 B.D.L).

Les B.D.L passent l'hiver 43-44 dans leur chalet. L'ambiance est celle d'un camp scout mais ils ont des actions résistantes : entrainement, récupération d’armes, de matériel, transports divers, fabrication de  faux papiers, aide à des israélites réfugiés, contacts permanents avec le reste du clan, 20 garçons et filles demeurés à l’EN parce que plus jeunes. Des contacts sont pris avec les organisations de résistance locales (Francs-Tireurs et Partisans, Armée Secrète) les groupes du capitaine Stéphane, du capitaine Bernard et le mouvement "Combat" à Lyon. Mais partout la réponse est la même : attendre le débarquement pour déclencher une action véritable !

Lors de leurs activités ils échappent de justesse à plusieurs rafles : miliciens à Allevard, à Grenoble, allemands à Grenoble, en gare de Chambéry où "Bison" et "Hirondelle" (Henri Pellet) sont arrêtés, interrogés, fouillés par la Gestapo mais arrivent à tromper les policiers avec les fromages "odorants" qui recouvrent, dans leurs sacs tyroliens, des munitions.

 Le temps du combat

Les B.D.L retournent à Grenoble pour leur stage de fin d'études. Toujours attendre ! 4 d’entre eux logent à Echirolles dans le grenier d’une école désaffectée avec la complicité du directeur. Au mois de mai, ils sont contraints de cohabiter avec une compagnie de G.M.R (Groupe Mobile de Réserve) venue pour lutter contre  les maquis en formation, dont celui des Glières. En juin, ils échappent de peu à la Gestapo qui vient perquisitionner l'école, après leur départ. Durant cette période, ils prennent contact avec André Jullien alias "Briançon". Jeune officier de réserve décoré de la croix de guerre en 1940, "Briançon" est membre des Jeunesses Etudiantes Catholiques. Depuis 1941, il a constitué un réseau au 24 place Grenette et veut former une section franche avec les normaliens.

Après le débarquement du 6 juin 1944, les B.D.L, qui sont désormais une vingtaine, obtiennent l'autorisation de passer les épreuves du certificat de fin de stage, puis ils doivent rejoindre le secteur 1  Grenoble Oisans avec Briançon à leur tête et plusieurs jeunes étudiants catholiques. Les " B.D.L " atteignent Rochetaillée puis Ornon où ils rencontrent le capitaine Lanvin, chef du maquis, avant de partir pour l'Oisans où ils doivent retrouver "Briançon". Mais leur déception est grande car  "Briançon" ne viendra pas. Appelé à d’autres responsabilités, il est devenu entre - temps responsable du service de renseignements pour le secteur Grenoble-Oisans. Les B.D.L sont  incorporés sous les ordres de l'aspirant Maurice Volait alias Porte, "Bison" sera son adjoint.  La section Porte est née !

 La section Porte au maquis - 3 groupes

Le premier, commandé par Jean-Pierre Lacour, est formé d'élèves préparant le concours de l'Ecole Nationale de la France d'Outre-mer : "les Colos". Le deuxième, aux ordres de Charly Vallin, est celui des normaliens : "les Normalos" ou "Pédagos". Le troisième groupe est commandé par Roger Collomb qui vient du mouvement "Combat" : "les Roger". Baptisée par Lanvin "la section des intellectuels", la section Porte comprend quarante cinq hommes. "Une des particularités de la section, réside dans  le nombre important de jeunes venant du scoutisme: Eclaireurs, Scouts de France, Eclaireurs unionistes, Eclaireurs israélites. Nous sommes tous animés par le même idéal. Certes nous voulons chasser l'Allemand mais notre désir est aussi de lutter contre le racisme, de promouvoir une société plus juste, plus humaine. Dans la section, il y a "celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas" et une parfaite tolérance est de mise."

CHARLY VALLIN

Charles Vallin

 

Le baptême du feu

De juin à août 1944 la section Porte mène de nombreuses opérations de guérillas, enlèvement d’armes entreposées au palais de Justice de Grenoble, embuscades…. Le 6 juillet 1944, attaque du château d'Uriage, école des cadres de la Milice, avec dix-sept miliciens et quatre Allemands tués, c'est un demi-échec. De plus "Bison" est blessé en allant récupérer un sac contenant des munitions et des documents que Porte a oublié sur le terrain. L'échec de plusieurs autres opérations permet de découvrir que le lieutenant Sacha, officiellement polonais déserteur de l'armée allemande et en charge d'une section, est en réalité un officier allemand infiltré dans le maquis. Après une enquête ordonnée par "Briançon", Sacha sera exécuté. Le 19 juillet, la section Porte est envoyée au Mollard, près de Lavaldens dans la vallée de la Roizonne, pour surveiller la route qui vient de La Mure.

Fin juillet, Porte devient le commandant du Groupe Mobile N°3 qui comprend quatre sections. Le 30 juillet, Lanvin informe le GM3 que les allemands ont investi le Vercors et s'apprêtent à attaquer l'Oisans. "Bison" revient prendre le commandement de la section qui reçoit le renfort d'un groupe de destruction et d'une équipe de santé. Le 11 août, "les Porte" font mouvement vers la Morte. Le premier groupe (Lacour) gagne le lac du Poursollet. Le deuxième (Vallin), auquel appartient "Canard", est envoyé sur le Grand Serre pour surveiller la progression des allemands venant de Laffrey, le troisième (Collomb) reste en arrière pour couvrir le repli de la section. Le 12 août, le deuxième groupe rejoint le Poursollet. Un barrage est établi à Combe Oursière. Porte se voit contraint de renvoyer des maquisards de la Mure qu'il ne peut intégrer à son dispositif…

 Le Poursollet (13 Août 1944)

Le soir du 12 août, Porte a convoqué tous les chefs de la section à son P.C du Poursollet. La réunion se passe mal car certains veulent quitter le site qu'ils jugent trop dangereux. Finalement, "Bison" décide de descendre dans la vallée de la Romanche pour trouver un passage vers le Rivier d'Allemont où se trouve Lanvin. Il prend avec lui "les Colos" de Lacour. Du groupe des "Normalos" de Vallin, qui sont trop fatigués et qui n'ont rien mangé depuis deux jours, seul "Canard" accepte d'accompagner "Bison" par fraternité d'éclaireur.

Le 13 août, à quatre heures du matin, le groupe se met en route et parvient au dessus de Rioupéroux. Contrairement à ce que pensait Porte, les allemands sont déjà dans la vallée et aucun passage ne semble possible. Vers dix heures, "Bison" et ses hommes remontent vers le Poursollet. Ils n'en sont plus très loin lorsqu' ils entendent une violente fusillade. Les Allemands sont nombreux et fortement armés, un bataillon, 80 mulets, des mitrailleuses et mortiers, un avion.  Les maquisards résistent, sont submergés, cherchent leur salut dans la fuite, 13 d’entre eux dont 4 B.D.L. tombent sous les coups ennemis. Les survivants respectent les consignes de Lanvin et de Bastide (Alain Le Ray) transmises par "Bison" : cacher les armes et se disperser par petits groupes. Ils se terrent et attendent. "Bison», "Canard" et Jean Massenavette  parviennent non sans mal à échapper aux allemands. Ils rejoignent Echirolles, puis Allevard avant de regagner l'Oisans. Finalement tous les survivants de la section Porte  se retrouveront à Vizille le 24 aout. Le 26, sous les ordres de "Briançon", ils partent chercher les corps des victimes du massacre du Poursollet avec un groupe de prisonniers allemands qui portait les cercueils. Après la Libération, "les Porte" sont dispersés. Certains vont combattre en Maurienne dans les rangs des Chasseurs Alpins, d'autres sont incorporés dans l'armée venue d'Afrique et franchissent le Rhin.


  Max Robert

Le maquis de l'Oisans a permis d'immobiliser la 157ème division allemande de montagne et le Groupe Mobile n° 3, auquel appartenait la section Porte, a tenu tête à un bataillon de cette unité d'élite. La Résistance a permis aux américains, débarqués le 15 août en Provence, de libérer Grenoble une semaine plus tard et d’être le 3 septembre à Lyon, alors que le haut commandement Allié avait prévu 3 mois !

Aujourd'hui, le nombre des "Porte " encore vivants se réduit d’année en année mais ceux qui restent continuent de témoigner pour leur idéal : la lutte contre toute forme de dictature, de racisme et le refus de la barbarie. Ils interviennent, tant que leur santé leur en laisse la possibilité, auprès des jeunes générations pour transmettre leur histoire, celle d’étudiants qui croyaient que la liberté, la justice, la fraternité, la démocratie sont des valeurs qui méritent de tout leur sacrifier. Ils montent chaque année, malgré les difficultés physiques, jusqu’à la plateforme du Poursollet pour rendre hommage à la mémoire de leurs copains fauchés dans la fleur de l’âge et si parfois vous leur voyez les yeux un peu brillants souvenez vous qu’ils saluent, avec leur cœur, les humbles mais lumineux héros de la France, berceau des droits de l’homme.

 

Sources : les textes en italiques sont extraits du discours de réception prononcé par André Baroz "Canard" à l’Académie Delphinale

Souvenirs de Henri Pellet "Hirondelle »

Contribution d’Aimé Berthollet "Bison " à une étude du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon

 

 

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